Ici,
il faut se laver parfois plusieurs fois par jour, tant la poussière
rouge de latérite qui recouvre tout inlassablement colle à
la peau, avec la chaleur et les vents violents. Se laver avec d'infinies
précautions pour ne pas gaspiller cette eau trop rare, si précieuse
sur ce continent aux climats capricieux. Elle la sait bien, cette
rareté de l'eau, elle qui est allée la chercher avec
ses surs, bien plus tôt quand le jour dort encore et que
l'appel à la prière des muezzins devance le chant du
coq. Elle n'oublie pas la marche épuisante jusqu'au puit, avec
les lourds canaris en équilibre instable sur la tête.
De l'eau, il en reste juste ce qui est nécessaire pour sa toilette.
Les autres, comme il est d'usage, se sont déjà servis
avant elle.
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Là-bas,
l'eau coule sans que l'on y prête trop attention, chaude à
volonté, juste comme il faut. D'ailleurs tout est comme il
faut, les petites crèmes, les savons parfumés, les brosses
pour le dos et celles pour les pieds, le carrelage sur les murs, rien
ne manque. Si peut-être une chose, la conscience d'avoir cette
chance de ne manquer de rien. Et comment la savoir cette chance, justement
quand on ne manque de rien ? Et puis, ne manque-t-on jamais de rien?
Et puis...
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Ici, c'est le temps d'après. Avant,
les pépés racontaient des histoires à leurs petits
enfants, maintenant ils les regardent ensemble à la télé.
Si on pouvait choisir et revenir au temps d'avant ? Mais ce n'est
pas possible, le progrès pousse vers plus de progrès
encore. Il faudrait être très prudent lorsque vient l'heure
de choisir ce qu'on lui abandonne. Enfin, tant qu'il restera des pépés,
il sera encore temps de prendre le temps de les écouter.
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Là-bas, c'est le temps d'avant, celui
de la famille, où les vieux sont des bibliothèques qui
apprennent aux enfants l'histoire de leurs origines, où les
grands frères et les grandes surs sont autant de pères
et de mères pour le petit, jamais abandonné. Les choix,
c'est aujourd'hui qu'on les faits et le progrès est ressenti
à la fois comme une menace et une nécessité pour
l'avenir de la famille. Pourtant, elle aurait sans doute pu vivre
encore longtemps heureuse ainsi...
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