Un
homme d'ici, au regard fier. Fier d'être là, à
cet instant précis où il croise le regard d'un étranger.
À moins que ce ne soit l'âge et les difficultés
d'être sur ces terres sèches comme une rivière
sans eau, qui ont lentement façonné ce visage digne.
À moins que ce ne soit les outils tortueux qui obligent cette
raideur. À moins que ce ne soit un reproche à cet appareil
de métal noir qui vole les images au temps, sans avoir échangé
assez de mots pour se connaître. À moins que ce ne soit
un salut aux inconnus de l'autre continent. Un regard digne, mais
fier quand même !
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Là-bas,
le regard du vieil homme aussi contient de la fierté. Il interroge,
moque un peu, émet un doute, puis s'entête tout à
fait. Le visage au béret semble dire au visiteur indiscret
: " Et maintenant qu'est-ce qu'on fait ? On y va ? Vous n'osez pas
me suivre, hein ? Il fait si froid. Ça ne fait rien, j'ai l'habitude
d'être seul. Allez, je vous laisse". L'instant d'après,
le regard du vieux quittera l'appareil noir pour les horizons vides
de l'éternelle fenêtre
Le béret, l'il
et la bouche disent la même chose : " Salut " !
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Ici,
l'école est obligatoire, ce qui veut dire que pour beaucoup
d'enfants, le rêve serait de ne pas y aller. S'échapper
où bon leur semble, dans cet ailleurs où rien ne serait
obligatoire et tout autorisé. C'est que l'école devrait
apprendre à ces petits cerveaux en construction, bien avant
de s'attaquer à l'apprentissage de la lecture ou du calcul,
qu'elle est une chance pour ceux qui y ont accès. Mais l'école
sait aussi apprendre le rêve, la révolte, l'invention...
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Là-bas, aller à l'école c'est avoir déjà
une chance que beaucoup n'auront pas. Une chance, parce que né
au sein d'une famille à l'esprit plus ouvert que les autres.
Parce qu'appartenant à un groupe qui accepte de se séparer
de ces jeunes bras. Parce qu'un père mise sur une vie meilleure
pour l'homme que va devenir son fils, ce qui est encore rare, ou pour
la vie de femme de sa fille, ce qui est encore plus rare. Alors quand
on est l'enfant de ces chances-là, on le sait. Et l'on s'applique,
jusqu'à ne plus dormir pour être assuré le moment
venu de réussir ces examens redoutables.
Et surtout on n'oublie jamais ce que l'on doit à ce père
qui a permis cela.
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