Ici,
les hommes qui travaillent le fer et le feu sont infiniment respectés.
On prête des pouvoirs magiques aux forgerons, ce qui les rend
un peu inquiétants. Ce sont des modèles que l'on vient
voir travailler, espérant un jour atteindre ces pouvoirs-là.
Ce qu'ils savent n'est pas dans les livres et n'est pas disciple qui
veut. Il faut être accepté par le maître et ne
jamais lui déplaire. Du morceau de fer informe qu'il martèle
d'un geste savant, naîtra la perfection qu'il avait imaginée.
Longtemps on le regarde en silence, comme l'on écoute une musique
sacrée
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Là-bas,
il n'y a plus beaucoup de spectateurs pour encourager le dur travail
du forgeron. Jadis, il était l'un des personnages importants
du village. C'est lui qui réparait les roues des charrettes,
ou le socle des charrues. Sans lui tout se serait vite arrêté
à la première casse venue. Aujourd'hui l'ère
de la consommation a rendu ce savoir faire désuet et le forgeron
est de plus en plus rare à faire sonner son enclume au cur
des villages de France. Les machines ont depuis longtemps remplacé
son bras, mais pas son talent qui n'appartient qu'à lui et
a besoin d'une âme pour exister. Il sait qu'aujourd'hui on jette
et que l'on ne répare presque plus.
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Ici,
chaque jour de leur vie, il revient aux filles de chauffer l'eau et
de faire la cuisine pour la communauté tout entière.
Ainsi la journée qui commence pour cette jeune fille est-elle
déjà très écrite et laisse peu de place
aux surprises et à l'improvisation. Il y a bien longtemps que
dans sa tête, il n'y a plus d'enfance. Alors ces quelques instants
de repos dans la cuisine enfumée, lui permettent de s'évader
par la pensée vers un avenir proche, où elle pourrait
enfin ressembler aux jeunes femmes de son âge, aperçues
sur les images de la télévision. Ici, c'est ainsi et
ce n'est pas triste.
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Là-bas,
la mère essentiellement, aidée d'un père si tout
va bien, a organisé le temps et l'espace de ses enfants, afin
que rien des dangers de la vie qui commence pour eux ne puisse les
atteindre. Tout est fait pour leur ménager une certaine insouciance,
si possible. Mais la télévision, ici aussi, dépasse
dans ses messages inconscients, le silence volontaire des parents
attentifs. Le jour viendra pourtant où il faudra quitter ce
refuge douillet et aller affronter les réalités de la
vie étudiante. Longtemps encore, le plus longtemps possible,
à choisir on verse vers l'enfance. Ici la joie se montre, les
peines aussi et ce n'est pas triste non plus.
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